Archives mensuelles : février 2012

Trois journées de réflexion 2012 – L’Utopie

En partenariat avec les Champs Libres, la Société bretonne de philosophie organise comme chaque année « Les Champs de la réflexion ».

 

Du 1er au 3 mars 2012 :

L’UTOPIE

Lucas.theis (CC BY 2.0)

L’utopie, idéal de l’imagination et source d’espoir politique et social, a aussi inspiré des réalisations monstrueuses au point de lui conférer désormais un sens péjoratif conduisant à définir la société contemporaine comme celle qui a mis fin aux « grands récits de la modernité ». Cette nouvelle édition des Champs de la Réflexion tentera de faire la lumière sur la nature de l’utopie, sa fonction et ses domaines d’exercice. De l’utopie littéraire à ses tentatives politiques, des utopies d’hier à celles d’aujourd’hui, on s’interrogera en particulier sur la place résiduelle des utopies contemporaines : notre société pragmatique, soumise aux principes de sécurité et de réalité, est-elle encore en mesure de faire place à l’utopie, à son discours critique et à son désir de réformation ?

 

PROGRAMME

Jeudi 1er mars 2012
Les Champs de la Réflexion, 20h30,
Conférence introductive : L’utopie, par Pierre Macherey
(philosophe, Lille)

Vendredi 2 mars,
Les Champs de la Réflexion, 15h
Les variétés de l’utopies :
L’utopie et la ville face aux crises, par Jean-Louis Violeau
(sociologue, St Nazaire, Paris)
Utopie, Dystopie et Science-fiction, par Marc Atallah
(philosophe, Lausanne)

Samedi 3 mars
Les Champs de la Réflexion, 15h30
Utopies d’hier, d’aujourd’hui et de demain :
regards croisés sur le sens politique et historique de l’utopie.

Rencontre et dialogue entre Michèle Riot-Sarcey (historienne, Paris), Laurent Loty (Cnrs, histoire des idées) et Armand Mattelart (sociologue, Paris)

 

Toutes les conférences ont lieu aux Champs Libres à Rennes, dans la salle de conférences Hubert Curien – Entrée libre et gratuite, réservations au 02 23 40 66 00.

Jeudi 1er mars 2012, 20h30 : Le réel de l’utopie par Pierre Macherey

Trois journées de réflexion 2012 : L’Utopie

Jeudi 1er mars 2012, 20h30
Le réel de l’utopie par Pierre Macherey (philosophe, Lille)

Lieu : Les Champs Libres à Rennes, dans la salle de conférences Hubert Curien
Entrée libre et gratuite, réservations au 02 23 40 66 00.

Pris dans son acception courante, le terme « utopie » désigne un effort en vue de s’évader du réel, en proposant des solutions imaginaires à ses problèmes. On voudrait montrer que l’utopie, même si elle emprunte des voies inattendues, n’en finit pas moins par rejoindre le réel, sur lequel elle est en prise et qu’elle vise à transformer concrètement.

Pierre Macherey, né en 1938, après avoir travaillé avec Althusser, et avoir enseigné la philosophie aux universités de Paris I et de Lille III, est actuellement rattaché à l’UMR du CNRS « Savoirs Textes Langage » où il a animé un groupe d’études dont les travaux sont consultables sur le portail Hypothèses.org. Dernières publications : Marx 1845 – Les « Thèses » sur Feuerbach (2008), Petits riens – Ornières et dérives du quotidien (2009), De Canguilhem à Foucault – La force des normes (2009), De l’utopie ! (2011), La Parole universitaire (2011).

Vendredi 2 mars 2012, 15h : L’utopie et la ville, face aux crises, par Jean-Louis Violeau

Trois journées de réflexion 2012 : L’Utopie

Vendredi 2 mars, 15h :
L’utopie et la ville, face aux crises, par Jean-Louis Violeau

Lieu : Les Champs Libres à Rennes, dans la salle de conférences Hubert Curien
Entrée libre et gratuite, réservations au 02 23 40 66 00.

Si l’utopie ouvre en elle-même un horizon de puissance et d’espérance, elle est aussi et avant tout un texte instaurateur d’espace : la modélisation critique de l’espace est l’instrument privilégié des réformateurs sociaux. Longtemps, la construction de la ville a fait partie d’un projet plus vaste d’édification d’une société nouvelle. Quelles sont donc les figures utopiques qui semblent aujourd’hui occuper l’imaginaire des jeunes architectes ? Notre époque contemporaine, dominée par le « principe responsabilité », laisse-t-elle la place à des utopies urbaines, ou bien la ville durable et ses éco-quartiers n’offrent-elles qu’une perspective de gouvernance réaliste ?
Jean-Louis Violeau est sociologue, chercheur au laboratoire Architecture-Culture-Société (CNRS / Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Malaquais) ; ses travaux se partagent en trois grands champs d’intérêt : les architectes, les élites et les multitudes. En 2009, il a publié Les 101 mots de l’Utopie, à l’usage de tous (Archibooks), et il vient de coordonner (avec Craig Buckley) la traduction d’une anthologie : Utopie. Texts and Projects, 1967-1978, soutenue par les éditions Semiotexte et MIT Press, Los Angeles / Cambridge, 2011.

 

Vendredi 2 mars 2012 : 16h Utopie, dystopie et science-fiction par Marc Atallah

Trois journées de réflexion 2012 :  L’Utopie

Vendredi 2 mars : 16h
Utopie, dystopie et science-fiction par Marc Atallah
à la suite de « L’utopie et la ville, face aux crises », par Jean-Louis Violeau

Lieu : Les Champs Libres à Rennes, dans la salle de conférences Hubert Curien
Entrée libre et gratuite, réservations au 02 23 40 66 00.

Partant des principes de l’utopie littéraire classique, Marc Atallah parlera de la dystopie, l’utopie négative telle qu’on peut la lire dans 1984 le roman de Georges Orwell par exemple, et s’attachera à montrer les relations intimes existant entre l’utopie et son contraire ; il évoquera également le rôle qu’a joué la science-fiction quant à la popularisation des dystopies.

Marc Atallah est philosophe et maître d’enseignement et de recherche à l’université de Lausanne ; ses recherches portent sur les littératures conjecturales (utopie, dystopie, science-fiction) auxquelles il a déjà consacré de nombreux articles et il dirige depuis janvier 2011, la Maison d’Ailleurs, musée de la science-fiction, de l’utopie et des voyages extraordinaires, à Yverdon-les-Bains.
Un livre en collaboration avec Dominique Kunz-Westerhoff : L’Homme-Machine et ses avatars dans la littérature des XVIIe au XXIe siècles, Paris, Vrin 2011
Un article en ligne : « Apocalypse, science-fiction et catastrophisme éclairé : et si la panne sèche de notre “agir” provenait d’un déficit du “croire” ? », in : En attendant la fin du monde : la structure littéraire de l’Apocalypse, revue Post-scriptum (n° 12), article en ligne publié le 12 mars 2010.
Ou encore : « La littérature, un remède à l’aliénation scientifique », in : Colloquium Helveticum. Cahiers suisses de littérature générale et comparée (n° 37/2006), Fribourg : Academic Press, 2007, pp. 15‑36.

Samedi 3 mars 2012, 15h 30 : Utopies d’hier, d’aujourd’hui et de demain

Trois journées de réflexion 2012 : L’Utopie

Samedi 3 mars, 15h 30
Utopies d’hier, d’aujourd’hui et de demain : regards croisés sur l’utopie à travers la rencontre entre Michèle Riot-Sarcey, Laurent Loty et Armand Mattelart.

Lieu : Les Champs Libres à Rennes, dans la salle de conférences Hubert Curien
Entrée libre et gratuite, réservations au 02 23 40 66 00.

La modernité de l’utopie, par Michèle Riot-Sarcey

“La mort proclamée des utopies lors de la chute du mur de Berlin a laissé croire, pendant près de quinze ans, à ”la fin de l’histoire”. Aujourd’hui l’utopie renaît. Mais de quelle utopie s’agit-il ? Nous reviendrons sur ce que j’ai nommé le Réel de l’utopie comme forme d’expérience de la démocratie”.

Michèle Riot-Sarcey est professeure en histoire contemporaine à l’Université de Paris 8, ses recherches sont spécialisées sur l’histoire du politique, du genre et des utopies au XIXe siècle. Elle a publié Le réel de l’utopie en 1998 (Albin Michel), également un Dictionnaire des utopies (en collaboration avec A. Picon et Th. Bouchet) réédité et augmenté en 2006 chez Larousse, et Une histoire du féminisme aux éditions de la Découverte en 2004.

« Utopie » et « Alterréalisme » : histoire d’un mot, avenir d’une écriture,
par Laurent Loty

Nous avons un besoin urgent, pour éviter des catastrophes économiques ou guerrières, de retrouver la foi en l’imagination et en la politique. Une foi non intégriste. Une imagination polyphonique. Une politique déprofessionnalisée. À l’heure d’un possible renouvellement de l’humanisme (la révolution médiatique, anthropologique et politique du numérique), il est temps de voir surgir une multitude de fictions utopiques et juridiques, qui renouvellent le genre textuel que Thomas More a inventé en 1516, avec son livre intitulé Utopia. Tel est l’espérance du programme « Alterréalisme » qui a démarré à Rennes en 2001.

Pour réveiller l’imagination utopique, je commencerai par l’histoire du mot « utopie ». Celui-ci a été l’objet d’une extraordinaire mystification, au moment de l’invention du nom commun, au 18e siècle. Cette mystification est due à des philosophes ancêtres de nos ultralibéraux, elle a été relayée par le scientisme et le fatalisme historique du marxisme. Les anti-utopistes ont fini par nous faire croire que le mot « utopie » désigne un rêve impossible, alors qu’« utopie » était le nom propre d’un texte qui utilisait la fiction pour faire croire, de manière ironique et distanciée, en l’imagination politique. Une imagination préalable à toute action mélioriste.

Retrouver le pouvoir des « utopies » suppose d’employer le mot pour désigner ces textes qui reprennent la stratégie d’écriture de More. Ces utopies ne sont ni irréalistes ni réalistes, mais alterréalistes. Pour autant, elles peuvent être bénéfiques ou néfastes au bien-être de chacun et de tous. Depuis des siècles, on y trouve toutes sortes de valeurs et de modèles : liberté de croyance, eugénisme, racisme, partage du travail, sexisme, éducation à l’esprit critique, autoritarisme, libéralisme, communisme, incitation à la soumission… J’esquisserai quelques pistes pour des formes, des contenus et des modalités d’écriture en lesquelles je crois. Pour qu’après l’heureuse chute du Mur et la malheureuse grande transformation ultralibérale, chacun puisse se mettre, si cela lui chante, à lire et à écrire des fictions utopiques et juridiques, à retrouver le chemin d’un progrès collectif.

Historien des textes, des mots, des savoirs et des idées, Laurent Loty a présidé la Société française pour l’histoire des sciences de l’homme. Avant d’entrer au CNRS, il a enseigné 30 ans, dont la moitié à l’Université Rennes 2, où il a animé le séminaire « Textes et Savoirs, Transdisciplinarité et Politique ». Il défend une conception indisciplinaire de la recherche (« Pour l’indisciplinarité », 2005). Il s’intéresse à l’histoire des mots qui nous empêchent de penser (« L’optimisme contre l’utopie », Europe, « Regards sur l’utopie », mai 2011), et enquête sur la genèse des idées politiques contemporaines. Il a codirigé L’histoire des sciences de l’homme (1999), Littérature et engagement pendant la Révolution française (2007), Individus et communautés (revue Dix-Huitième Siècle, 2009). Il prépare une histoire de l’optimisme et du fatalisme, et une édition de La Découverte australe, utopie de Rétif. Depuis 2001, il organise avec Anne-Rozenn Morel un programme international d’incitation à l’écriture de fictions utopiques et juridiques.

L’utopie informationnelle en question, par Armand Mattelart

« Comme les peuples se touchent ! Comme les distances se rapprochent ! Et le rapprochement, c’est le commencement de la fraternité… Avant peu, l’homme parcourra la terre comme les dieux d’Homère parcouraient le ciel, en trois pas. Encore quelques années, et le fil électrique de la concorde entourera le globe et étreindra le monde. »

Victor Hugo, 1840.

Figure maîtresse du progrès, l’univers réticulaire a très tôt investi les utopies. Eternelle promesse, le réseau de communication symbolise la figure d’un monde meilleur, parce que solidaire. De la route au rail jusqu’aux « autoroutes de l’information », cette croyance a rebondi au gré des générations techniques. Mais les réseaux n’ont jamais cessé d’être l’objet d’enjeux contradictoires et de se trouver au coeur des affrontements pour la maîtrise du monde.
C’est ce qu’enseigne, depuis le début du millénaire, les tensions entre la notion de société de l’information et celle de société de savoir qui se font jour dans les débats qui se sont ouverts dans les grandes institutions internationales autour de l’aménagement du cyberespace planétaire. Chacune exprime des projets de société et des systèmes de valeurs contrastés. La première relève des techno-utopies et du déterminisme technique. La seconde s’enracine dans les utopies sociales de partage des savoirs. L’une traduit une vision inféodée au pragmatisme de l’actualité ; l’autre implique de penser le devenir du monde au regard de l’histoire et de la mémoire collective. Chacune d’elles témoigne d’une genèse tout aussi contrastée. Seule l’absence de précaution épistémologique peut laisser tracer un trait d’équivalence entre les deux. D’où l’importance que prend la bataille des mots, à plus forte raison en ces temps où l’appauvrissement de la langue qui sert à désigner le monde et spéculer sur son futur à la lumière du progrès technique se conjugue avec le foisonnement de néologismes plus proches du logotype que du concept. Le problème est que, par les catégories toutes faites, passent les glissements de sens des concepts de démocratie et de liberté, en même temps que s’imposent à nous sur le mode de l’évidente nécessité ce qui est et, surtout, ce qui est censé advenir. C’est donc à une archéologie de ces notions politiquement et géopolitiquement structurantes qu’invite cette intervention.

Armand Mattelart est professeur émérite des Universités. Il est rattaché au Centre d’études des médias, des technologies et de l’internationalisation (CEMTI) et à l’école doctorale des sciences sociales, à l’université de Paris 8 (Saint-Denis). Il a débuté en septembre 1962 sa carrière universitaire comme enseignant-chercheur à l’école de sociologie de l’Université catholique du Chili, à Santiago, et y est resté jusqu’en septembre 1973. Durant la présidence (1970-73) de Salvador Allende, a participé de près aux projets de réforme des médias. Après le coup d’Etat du général Pinochet, est revenu en France où il a réalisé un documentaire long métrage (La Spirale, 1976) sur cette période de l’Unité populaire chilienne, en collaboration avec Chris Marker. Nommé professeur titulaire en décembre 1983 à l’université de Rennes 2, il y a enseigné jusqu’en 1997, date à laquelle il a rejoint l’université de Paris 8 jusqu’à sa retraite en septembre 2004. Resté en contact étroit avec l’Amérique latine, il y donne régulièrement des séminaires. Depuis 2001 il est partie prenante des forums sociaux, au niveau mondial et régional.

Il est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés aux médias, à la culture et aux systèmes de communication, plus spécialement dans leur dimension internationale et historique. Parmi lesquels La Communication-monde (1992), L’Invention de la communication (1994, nouvelle édition, 2011), Histoire de l’utopie planétaire (1999, nouvelle édition 2009) et La Globalisation de la surveillance (2008), tous édités par La Découverte. Et dans la collection « Que sais-je » des PUF : La Mondialisation de la communication (1996, 2008).