Puissance de la pensée créatrice, plus forte que la mort

Après le 7 janvier, le 13 novembre. Au-delà des sentiments de stupéfaction, d’horreur et d’incrédulité, puis de profonde compassion pour les victimes et leur famille, nous cherchons, encore une fois et toujours, à comprendre comment cela a été possible. Nous nous sentons démunis.

On trouvera très certainement des explications sociologiques, culturelles, on pourra à nouveau fustiger notre société qui, par manque de spiritualité et d’idéalisme à proposer à nos jeunes, en détourne certains vers ces pseudo idéologies de la mort ; il n’en reste pas moins que nous devons vivre, c’est-à-dire penser, les faits.

Des lieux de plaisir, de partage et de convivialité ont été visés : le stade de France où un match de foot opposait deux grands pays d’Europe, une salle de spectacle où un groupe américain jouait, des restaurants et des terrasses où on dégustait des mets travaillés et des vins appropriés à ces mets pour le plaisir du goût et du parler. Foot, musique, art culinaire, plaisir d’être ensemble : comment ne pas penser au film « Timbuktu » qui nous présente la société des islamistes : interdit de jouer au foot, puisque c’est un jeu – interdit de jouer, donc -, interdit de faire de la musique, bref, interdit d’éprouver du plaisir, ou, pour le dire très précisément, interdit de vivre une vie d’humain. Juste autoriser à mourir en tuant le maximum de vies. Quel programme pour des créatures divines ! Quel courage surtout, de tuer des gens non armés, non avertis, là où on est sûr d’être tout-puissant !

« À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». D’où vient que des hommes puissent être subjugués par une telle lâcheté ? D’où vient qu’on puisse prendre pour un acte noble et valeureux ce qui n’est que méprisable et déshonorant ? Et quel religieux authentique pourra croire que se présenter devant son dieu les mains tachées de sang pourrait mériter récompense ?? Quel théologien un peu sérieux pourra soutenir que Dieu, ayant créé la vie, aime et demande la mort ?

Une telle inversion des valeurs ne peut se combattre que par une claire affirmation des justes valeurs : non, toutes les valeurs ne se valent pas, il y a des valeurs méprisables (le racisme, le sexisme, la xénophobie) parce qu’elles n’honorent pas nos capacités à vivre ensemble, il y a des valeurs mortifères parce qu’elles conduisent à la mort, et il y a des valeurs positives, de vie, qui honorent le plaisir de vivre, de partager et de rire. Oui, il y a des valeurs qui sont laides parce qu’elles anéantissent la vie, et il y a des valeurs qui sont belles parce qu’elles affirment la vie et lui donne du sens.

Puisque l’ultime question pour chacun d’entre nous reste de savoir à quoi bon vivre ?, n’est-ce pas là une raison suffisante : vivre pour rayonner de joie autour de nous, vivre pour transmettre le plaisir de vivre, qui est d’abord et toujours un plaisir de goûter, discuter, partager.

Ce ne sont plus aujourd’hui des mots ou des idées vides de sens ou naïfs : tuer dans les lieux de plaisirs et de partage, parce qu’ils seraient des lieux de superficialité qui dérangeraient… qui ? pour quelle raison ??, c’est vouloir nous enfermer chacun dans nos maisons, à attendre que la mort naturelle nous arrive, sans même pouvoir en rire. « Timbuktu » montre cette société : comment un village, de la vie, avec ses bruits, ses senteurs et ses clameurs, passe à la mort, au silence, à l’ennui, à la peur. Certes, la vie est chaotique, désordre, passions. Mais à quoi bon vivre dans une société où tout est ordonné pour l’ennui dans un silence de cimetière ?

Mourir pour des idées, oui, ça a du sens, si l’idée nous conduit vers l’affirmation d’une vie joyeuse et libre de choisir nos joies et nos peines. Mais mourir pour nourrir la mort, ça ne peut même plus recevoir le nom d’ « idéologie » – peut-être de néantologie tellement le mot « idée » ne peut recevoir une telle absence de contenu sans en être sali.

Remettons donc les valeurs à leur place et les mots à leur sens : se laisser enrôler par ces mafias islamistes, c’est seulement fuir les angoisses existentielles que nous permet d’éprouver un régime démocratique – oui, il revient à chacun de donner et de trouver du sens à sa vie ; se laisser dicter le sens de sa vie par un autre, c’est renoncer à sa liberté et à sa responsabilité d’humain. Se faire terroriste et kamikaze, c’est tout le contraire d’un acte courageux, c’est parfaitement lâche et couard. Se laisser entraîner dans des actions destructives, c’est destructeur alors que ce qui est beau, c’est de créer, de construire – comme la Genèse en fait le récit. Et se laisser attraper par cette néantologie, ce n’est pas se trouver une famille ou faire preuve de spiritualité, c’est juste une lourde faute de jugement, un défaut de penser – comme Hannah Arendt nous l’a déjà appris.

C’est pourquoi nous continuerons de travailler, par tous les moyens qui sont en notre pouvoir, à transmettre les justes valeurs et à honorer la libre pensée en en partageant joyeusement les fruits. C’est pourquoi nous continuons de croire que la pensée est plus puissante que les fausses valeurs. C’est pourquoi nous continuerons de lutter, par la philosophie et l’art, contre l’abrutissement et la destruction des joies terrestres, pour l’affirmation de la vie et la puissance créatrice de l’intelligence.

Le bureau de la Société bretonne de philosophie