Lecture d’Aristote, par Patricia Limido-Heulot

Ateliers populaires de philosophie

Premier cycle, les lundis 16, 23 et 30 septembre 2013

Lecture d’Aristote

par Patricia Limido-Heulot

Infos pratiques :
ATTENTION NOUVEAU LIEU !
Lieu : Amphi Donzelot
6 rue Kléber à Rennes
Horaires :
les lundis 16, 23 et 30 septembre 2013, 18h-20h
Entrée libre et gratuite, renseignements et contact : 07 81 55 85 09

Programme des ateliers populaires de philosophie 2013-2014

Présentation de l’atelier :

Cet atelier propose une introduction à la morale d’Aristote à partir de la lecture de quelques-uns des passages fondamentaux de l’Ethique à Nicomaque. Cela permettra de comprendre ce que désigne l’eudémonie, par suite de s’orienter sur les rapports tissés entre vertu, bonheur, plaisir. Qu’est-ce qu’une vie heureuse ou réussie pour Aristote ? En quoi cette existence s’accorde-t-elle avec la vie morale ? Y a-t-il une recette pour être heureux ? Y a-t-il des règles pour devenir un homme vertueux ? Y a-t-il des natures ou des tempéraments plus favorisés, plus chanceux, plus doués ou plus réfractaires ? Quel rôle la nature joue-t-elle dans notre aspiration à la moralité ?

Bibliographie :

Aristote, Invitation à la philosophie, Mille et une nuits, 2000
Aristote, Éthique à Nicomaque (Livre 1, 2, 5 et 10), GF
Aristote, Métaphysique (Livre 1), GF
Pierre Aubenque, La Prudence chez Aristote, Puf
Anne Cauquelin, Aristote, Seuil poche, 1994
Werner Jaeger, Païdeia, La Formation de l’homme grec, Gallimard, 1988
Pierre-Marie Morel, Aristote, GF, 2003
Pierre Pellegrin, Le Vocabulaire d’Aristote, Ellipses, 2009

 

Composition de l’Ethique à Nicomaque – Aristote – APP – Septembre 2013

Livre I – Aristote énonce sa théorie du Bien, de l’action éthique et du bonheur ;
conception eudémonique de l’existence humaine dont l’existence morale est le plus haut point d’accomplissement.
Cette existence n’a de sens et de réalité qu’à l’intérieur de la cité, d’où le livre I de l’Ethique, est aussi une introduction à la Politique.

Livre II – Les moyens de réaliser l’eudaimonia : la vertu (Aretè)

Livre III – La vertu repose sur une condition : le choix délibéré ;
– analyse de l’involontaire et du volontaire dans le vice et la vertu.

Fin du livre III – Analyse des vertus éthiques (morales ou pratiques)

III, 9 : Le Courage

Livre IV – Libéralité, Générosité, Prodigalité, Magnanimité

Livre V – La Justice

Livre VI – Analyse des vertus dianoétiques (intellectuelles)
– La Prudence (phronèsis) ; la sagesse (sophia)

Livre VII – Analyse de l’intempérance (acrasie)

Fin du livre VII : analyse du plaisir (reprise au livre X)

Livres VIII & IX – Analyse de l’Amitié (philia) en tant qu’elle participe aussi des conditions du bonheur ; amitié : ciment de la vie sociale et politique

Livre X – Analyse des rapports entre plaisir et bonheur
X, 7-9 : La béatitude (makariotès) de la vie contemplative
X, 10 : éthique et politique, transition au livre I de la Politique.

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Éthique à Nicomaque – Livre I – Chapitre 6

[Le bonheur défini par la fonction propre de l’homme]

Mais l’identification du bonheur et du Bien Suprême apparaît sans doute comme une chose sur laquelle tout le monde est d’accord ; ce qu’on désire encore, c’est que nous disions plus clairement quelle est la nature du bonheur. On y arriverait peut-être, si on déterminait la fonction de l’homme.

De même, en effet, que dans le cas d’un joueur de flûte, d’un statuaire, ou d’un artiste quelconque, et en général pour tous ceux qui ont une fonction ou une activité déterminée, c’est dans la fonction que réside, selon l’opinion commune, le bien, le « réussi », on peut penser qu’il en est ainsi pour l’homme, s’il est vrai qu’il y ait une certaine fonction spéciale à l’homme. Serait-il possible qu’un charpentier ou un cordonnier aient une fonction et une activité à exercer, mais que l’homme n’en ait aucune et que la nature l’ait dispensé de toute œuvre à accomplir ? Ou bien encore, de même qu’un œil, une main, un pied et, d’une manière générale, chaque partie d’un corps, a manifestement une certaine fonction à remplir, ne doit-on pas admettre que l’homme a, lui aussi, en dehors de toutes ces activités particulières, une fonction déterminée ? Mais alors en quoi peut-elle consister ? Le simple fait de vivre est, de toute évidence, une chose que l’homme partage en commun même avec les végétaux ; or ce que nous recherchons, c’est ce qui est propre à l’homme. [1098a] Nous devons donc laisser de côté la vie de nutrition et la vie de croissance. Ensuite viendrait la vie sensitive ; mais celle-là encore apparaît commune avec le cheval, le bœuf et tous les animaux. Il reste enfin une certaine vie pratique de la partie rationnelle de l’âme − partie qui peut être envisagée, d’une part, au sens où elle est soumise à la raison, et, d’autre part, au sens où elle possède la raison et l’exercice de la pensée.

L’expression ‘vie rationnelle’ étant ainsi prise en un double sens, nous devons établir qu’il s’agit ici de la vie selon le point de vue de l’exercice, car c’est cette vie-là qui parait bien donner au terme son sens le plus plein. Or, s’il y a une fonction de l’homme consistant dans une activité de l’âme conforme à la raison, ou qui n’existe pas sans la raison, et si nous disons que cette fonction est génériquement la même chez un individu quelconque et chez un individu de mérite (ainsi, chez un cithariste et chez un bon cithariste, et ceci est vrai, d’une manière absolue, dans tous les cas), l’excellence due au mérite s’ajoutant à la fonction (car la fonction du cithariste est de jouer de la cithare, et celle du bon cithariste d’en bien jouer), si cela est vrai ; maintenant, si nous supposons que la fonction de l’homme consiste dans un certain genre de vie − c’est-à-dire dans une activité de l’âme et dans des actions accompagnées de raison −, si la fonction d’un homme vertueux est d’accomplir cette tâche, et de l’accomplir bien et avec succès, chaque chose au surplus étant bien accomplie quand elle l’est selon l’excellence qui lui est propre, dans ces conditions, c’est donc que le bien pour l’homme consiste en une activité de l’âme en accord avec la vertu et, au cas de pluralité de vertus, en accord avec la plus excellente et la plus parfaite d’entre elles. Mais il faut ajouter : « et cela dans une vie accomplie jusqu’à son terme », car une hirondelle ne fait pas le printemps, ni non plus un seul jour : et, pareillement, la félicité et le bonheur ne sont pas davantage l’œuvre d’une seule journée, ni d’un bref espace de temps.

Chapitre 9

Il est manifeste aussi que les caractères qu’on requiert ordinairement pour le bonheur font tous absolument partie de notre définition.

En effet, certains auteurs sont d’avis que le bonheur c’est la vertu ; pour d’autres, c’est la prudence ; pour d’autres, une forme de sagesse ; d’autres encore le font consister en ces différents biens à la fois, ou seulement dans l’un d’entre eux, avec accompagnement de plaisir ou n’existant pas sans plaisir ; d’autres enfin ajoutent à l’ensemble de ces propriétés la prospérité extérieure. Parmi ces opinions, les unes ont été soutenues par une foule de gens et depuis très longtemps, alors que les autres l’ont été par un petit nombre d’hommes illustres. Il est peu plausible que les uns et les autres se soient trompés du tout au tout ; mais il y a des chances que ces opinions soient conformes à la droite raison, tout au moins sur un point déterminé ou même sur la plupart.

Pour ceux qui prétendent que le bonheur consiste dans la vertu en général ou dans quelque vertu particulière, notre définition est en plein accord avec eux, car l’activité conforme à la vertu appartient bien à la vertu.

Mais il y a sans doute une différence qui n’est pas négligeable, suivant que l’on place le Bien Suprême dans la possession ou dans l’usage, dans une disposition ou dans une activité. En effet, la disposition peut très bien exister sans produire aucun bien, [1099a] comme dans le cas de l’homme en train de dormir ou inactif de quelque autre façon ; au contraire, pour la vertu en activité, cela est impossible, car celui dont l’activité est conforme à la vertu agira nécessairement et agira bien. En effet, de même qu’aux Jeux Olympiques, ce ne sont pas les plus beaux et les plus forts qui sont couronnés, mais ceux qui combattent (car c’est parmi eux que sont pris les vainqueurs), de même aussi les nobles et bonnes choses de la vie deviennent à juste titre la récompense de ceux qui agissent. De plus, leur vie en elle-même est encore un plaisir car le sentiment du plaisir rentre dans la classe des états de l’âme et chacun ressent du plaisir par rapport à l’objet, quel qu’il soit, qu’il est dit aimer. Par exemple, un cheval donne du plaisir à l’amateur de chevaux, et un spectacle à l’amateur de spectacles. De la même façon, les actions justes sont agréables à celui qui aime la justice, et, de façon générale, les actions conformes à la vertu plaisent à l’homme qui aime la vertu. Mais, tandis que chez la plupart des hommes les plaisirs se combattent parce qu’ils ne sont pas des plaisirs par leur nature même, ceux qui aiment les actions nobles trouvent au contraire leur joie dans les choses qui sont des plaisirs par leur propre nature. Or, tel est précisément ce qui caractérise les actions conformes à la vertu, de sorte qu’elles sont des plaisirs à la fois pour ceux qui les accomplissent et en elles-mêmes. En conséquence, la vie des gens de bien n’a nullement besoin que le plaisir vienne s’y ajouter comme un surcroît postiche, mais elle a son plaisir en elle-même.

Ajoutons encore à ce que nous avons dit, qu’on n’est pas un véritable homme de bien quand on n’éprouve aucun plaisir dans la pratique des bonnes actions, pas plus qu’on ne saurait jamais appeler juste celui qui accomplit sans plaisir des actions justes, ou libéral celui qui n’éprouve aucun plaisir à faire des actes de libéralité, et ainsi de suite. S’il en est ainsi, c’est en elles-mêmes que les actions conformes à la vertu doivent être des plaisirs. Mais, en même temps, elles sont encore bonnes et belles, et cela au plus haut degré, s’il est vrai que l’homme vertueux est bon juge en ces matières ; or son jugement est fondé, ainsi que nous l’avons dite. Ainsi donc, si le bonheur est en même temps ce qu’il y a de meilleur, de plus beau et de plus agréable, et ces attributs ne sont pas séparés comme dans l’inscription de Délos :

Ce qu’il y a de plus beau, c’est ce qu’il y a de plus juste, et ce qu’il y a de meilleur, c’est de se bien porter ; Mais ce qu’il y a par nature de plus agréable, c’est d’obtenir l’objet de son amour.

En effet, tous ces attributs appartiennent à la fois aux activités qui sont les meilleures ; et ces activités, ou l’une d’entre elles − celle qui est la meilleure −, nous disons qu’elles constituent le bonheur même.

Cependant, il apparaît clairement qu’on doit faire aussi entrer en ligne de compte les biens extérieurs, comme nous l’avons dit, car il est impossible − ou du moins malaisé − d’accomplir les bonnes actions quand on est dépourvu de ressources pour y faire face. En effet, dans un grand nombre de nos actions, nous faisons intervenir [1099b] à titre d’instruments les amis ou la richesse, ou l’influence politique. D’autre part, l’absence de certains avantages gâte la félicité. C’est le cas, par exemple, pour la noblesse de race, une heureuse progéniture, la beauté physique. On n’est pas, en effet, complètement heureux si on a un aspect disgracieux, si on est d’une basse extraction, ou si on vit seul et sans enfants ; et, sans doute pis encore, si on a des enfants ou des amis perdus de vices, ou si, enfin, alors qu’ils étaient vertueux, la mort nous les a enlevés. Ainsi donc, comme nous l’avons dit, il semble que le bonheur ait besoin, comme condition supplémentaire, d’une prospérité de ce genre. De là vient que certains mettent au même rang que le bonheur, la fortune favorable, alors que d’autres l’identifient à la vertu.

Aristote : Éthique à Nicomaque, Livre 1, Chapitre 10

Cette divergence de vues a donné naissance à la difficulté de savoir si le bonheur est une chose qui peut s’apprendre, ou s’il s’acquiert par l’habitude ou quelque autre exercice, ou si enfin il nous échoit en partage par une certaine faveur divine ou même par le hasard. Et, de fait, si jamais les dieux ont fait quelque don aux hommes, il est raisonnable de supposer que le bonheur est bien un présent divin, et cela au plus haut degré parmi les choses humaines, d’autant plus qu’il est la meilleure de toutes. Mais cette question serait sans doute mieux appropriée à un autre ordre de recherches. Il semble bien ; en tout cas, que même en admettant que le bonheur ne soit pas envoyé par les dieux, mais survient en nous par l’effet de la vertu ou de quelque étude ou exercice, il fait partie des plus excellentes réalités divines car ce qui constitue la récompense et la fin même de la vertu est de toute évidence un bien suprême, une chose divine et pleine de félicité. Mais en même temps, ce doit être une chose accessible au grand nombre car il peut appartenir à tous ceux qui ne sont pas anormalement inaptes à la vertu, s’ils y mettent quelque étude et quelque soin. Et s’il est meilleur d’être heureux de cette façon-là que par l’effet d’une chance imméritée, on peut raisonnablement penser que c’est bien ainsi que les choses se passent en réalité, puisque les œuvres de la nature sont naturellement aussi bonnes qu’elles peuvent l’être ce qui est le cas également pour tout ce qui relève de l’art ou de toute autre cause, et notamment de la cause par excellence. Au contraire, abandonner au jeu du hasard ce qu’il y a de plus grand et de plus noble serait une solution par trop discordante.

La réponse à la question que nous nous posons ressort clairement aussi de notre définition du bonheur. Nous avons dit, en effet, qu’il était une activité de l’âme conforme à la vertu, c’est-à-dire une activité d’une certaine espèce, alors que pour les autres biens les uns font nécessairement partie intégrante du bonheur, les autres sont seulement des adjuvants et sont utiles à titre d’instruments naturels.

Ces considérations, au surplus, ne sauraient qu’être en accord avec ce que nous avons dit tout au début car nous avons établi que la fin de la politique est la fin suprême ; or cette science met son principal soin à faire que les citoyens soient des êtres d’une certaine qualité, autrement dit des gens honnêtes et capables de nobles actions. C’est donc à juste titre que nous n’appelons heureux ni un bœuf, ni un cheval, ni aucun autre animal, car aucun d’eux n’est capable de participer à une activité de cet ordre. [1100a] Pour ce motif encore, l’enfant non plus ne peut pas être heureux car il n’est pas encore capable de telles actions, en raison de son âge, et les enfants qu’on appelle heureux ne le sont qu’en espérance, car le bonheur requiert, nous l’avons dit, à la fois une vertu parfaite et une vie venant à son terme. De nombreuses vicissitudes et des fortunes de toutes sortes surviennent, en effet, au cours de la vie, et il peut arriver à l’homme le plus prospère de tomber dans les plus grands malheurs au temps de sa vieillesse, comme la légende héroïque le raconte de Priam : quand on a éprouvé des infortunes pareilles aux siennes et qu’on a fini misérablement, personne ne vous qualifie d’heureux.